Bruxelles Korner — Tribune / Opinion
Quand des sociétés fantômes blanchissent 12 millions d’euros : symptôme d’un système malade
Par Kadir Duran – Bruxelles

2025 : l’année des procès du blanchiment
2025 s’annonce comme l’année du grand ménage judiciaire.
Des dizaines de sociétés, grandes et petites, comparaissent devant les tribunaux pour fraude, blanchiment et faux en écriture.
Les juges voient défiler des dossiers venus de tous les secteurs de construction, commerce, transport, horeca où la frontière entre survie économique et infraction devient floue.
Ce matin encore, le tribunal correctionnel de Bruxelles s’est penché sur un nouveau dossier explosif :
un réseau de vente de boissons accusé d’avoir détourné plus de 12 millions d’euros à travers un montage de sociétés écrans, d’hommes de paille et de fausses factures.
Le scénario classique du blanchiment “à la belge”
27 sociétés fantômes, 29 prévenus, 12 hommes de paille.
Un circuit bien rodé : fausses factures, fausses livraisons, vrais billets.
Les boissons censées transiter d’un dépôt à l’autre n’étaient jamais livrées.
Le cash, lui, circulait bel et bien. Et 90 % de ce cash revenait aux pseudo-clients, qui s’en servaient pour payer leurs travailleurs au noir.
Les enquêteurs parlent de “blanchiment par compensation”.
Moi j’y vois plutôt un système d’oxygène illégal pour une économie asphyxiée.
“Il suffit de donner sa carte d’identité et ils se chargent de tout”
C’est la phrase glaçante d’un homme de paille interrogé.
Des gens paumés, précarisés, utilisés comme paravent administratif.
Pendant ce temps, les véritables profiteurs du système, eux, ne comparaissent presque jamais.
La communauté turque, une fois encore, est dans le viseur du parquet.
Et pourtant, il serait temps de poser la vraie question :
Pourquoi des entrepreneurs doivent-ils recourir à des circuits parallèles pour simplement rester à flot ?
Fraudeurs ou victimes d’un système intenable ?
Car derrière le mot “fraude”, il y a souvent un cri économique étouffé.
Quand un petit distributeur de boissons doit affronter des marges écrasées, des taxes à chaque coin de rue et une concurrence déloyale de multinationales qui, elles, optimisent légalement,
Faut-il s’étonner que le noir devienne le seul oxygène possible ?
La vraie hypocrisie est là :
on criminalise ceux qui survivent,
on glorifie ceux qui contournent légalement.
Julien Moinil, le nouveau procureur qui veut “nettoyer Bruxelles”
À la tête du parquet de Bruxelles, Julien Moinil, nouveau procureur du Roi, a prêté serment en janvier 2025.
Ancien magistrat fédéral, fort de 16 années d’expérience, il a promis une politique de tolérance zéro contre les trafics : drogue, fraude, blanchiment.
Il a déjà recruté une vingtaine de substituts pour muscler le parquet et “remettre de l’ordre” dans un appareil judiciaire fragilisé.
Il veut aussi renforcer la communication du parquet via une cellule “médias”, pour montrer que la justice agit.
Et il n’hésite pas à aller chercher les coupables jusque dans les banques et les fichiers de la CTIF, l’organisme chargé des dénonciations de blanchiment.
Mais la question demeure :
Est-ce vraiment la force de l’ordre qui va rééquilibrer l’économie ?
Peut-on espérer “renflouer les caisses de l’État” en frappant là où l’argent liquide circule encore — chez les petits — alors que les grands groupes, eux, déplacent des milliards sans craindre les projecteurs ?
Blanchiment ou désespoir économique ?
Ce dossier n’est pas qu’un procès de fraude : c’est un miroir social.
Un marché saturé, une économie où le cash devient la béquille du quotidien,
et un État qui ne veut pas voir que ses propres règles tuent la compétitivité locale.
Les 12 millions d’euros blanchis sont certes une fraude.
Mais combien d’euros légaux s’évaporent chaque année dans des montages d’optimisation fiscale à Zaventem, Londres ou Luxembourg, sans qu’aucun parquet ne s’en émeuve ?
Le vrai débat : à qui profite le chaos ?
Les petits commerçants risquent la prison.
Les vrais architectes du système fiscal, bancaire, politique restent à l’abri.
Tant que la Belgique continuera de punir la survie au lieu de repenser ses règles du jeu, les “sociétés fantômes” continueront d’exister.
Elles sont moins le fruit du crime que le symptôme d’une économie devenue invivable.
Kadir Duran
Chroniqueur — Bruxelles Korner
“Entre économie réelle et justice sélective, il est temps d’ouvrir les yeux sur les fantômes de notre système.”











































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