À qui profite vraiment la chasse aux petits fraudeurs ?
Fraude sociale au goût amer : l’Arizona frappe, mais à quel prix pour nos libertés ?
17 juillet 2025, Par Kadir Duran
Une affaire révélatrice… et instrumentalisée
Le cas fait les gros titres : une femme inscrite au barreau marocain depuis 2003 aurait bénéficié d’un logement social, d’une prime d’invalidité et d’une couverture santé en Belgique… tout en vivant au Maroc et en y exerçant comme avocate.
Selon l’INAMI, cette fraude aurait été révélée à la suite d’une dénonciation de son ex-conjoint. Les enquêteurs ont découvert que cette résidente « fantôme » n’était présente en Belgique que par intermittence, sans que ses enfants n’y soient scolarisés, ni que sa résidence principale y soit effective.
Des abus réels, mais isolés
Les faits sont graves :
• Occupation injustifiée d’un logement social à Bruxelles.
• Accès indu à des allocations réservées aux résidents permanents.
• Aucune attache scolaire ou familiale démontrée sur le sol belge.
Mais s’agit-il d’un phénomène généralisé ou d’un cas isolé ? Et surtout, que révèle la réaction politique à cette affaire ?
Récupération politique : la machine s’emballe
Georges-Louis Bouchez, président du MR, a rapidement saisi l’opportunité :
« Notre système social est une passoire », a-t-il déclaré.
« Les fraudes sont nombreuses et pas limitées à un seul pays. »
Dans la foulée, le gouvernement dit “Arizona” — surnom donné à la coalition MR-N-VA propose d’intensifier les contrôles, de centraliser les données sociales, et de créer un véritable cadastre des aides sociales. Une réponse musclée, mais non sans conséquences.
Une traque légitime… aux méthodes discutables
Si la lutte contre les abus sociaux est un impératif de justice, elle soulève aujourd’hui de sérieuses questions :
• Sur quelles bases juridiques repose la surveillance ?
• Les dénonciations anonymes sont-elles fiables ?
• Jusqu’où peut-on aller dans le croisement des données personnelles ?
La frontière entre efficacité et intrusion devient floue. Pour certains, cette dynamique installe une logique de surveillance généralisée, où chaque allocataire devient un suspect en puissance.
Populisme ou priorité budgétaire ?
Dans un contexte de promesses électorales difficiles à tenir, ces coups d’éclat sur la fraude sociale offrent un effet d’annonce à peu de frais pour des partis en perte de vitesse.
Mais derrière la communication politique, se pose une question essentielle :
Fait-on la chasse aux fraudeurs pour défendre la justice sociale ou pour distraire l’opinion des échecs en matière d’emploi, de logement, ou de fiscalité équitable ?
Le vrai coût de la chasse aux fraudeurs
Les chiffres, eux, sont moins flamboyants :
• Des mois d’enquête, de vérifications, d’échanges entre administrations…
• Des équipes mobilisées pour parfois… quelques milliers d’euros récupérés.
Et dans de nombreux cas, les personnes radiées des aides sociales reviennent ensuite vers le CPAS, devenant bénéficiaires du revenu d’intégration.
Un circuit fermé, coûteux et peu efficace.
Le gain net pour l’État est incertain.
L’effet dissuasif ? Difficilement mesurable.
Le risque de stigmatisation ? Immédiat et profond.
Et la dérive vers une gouvernance punitive ? De plus en plus palpable.
Réorienter les priorités : justice ou spectacle ?
Le vrai débat reste entier :
• Pourquoi ne pas investir dans la prévention, l’accompagnement social, l’éducation aux droits et devoirs ?
• Pourquoi cette focalisation sur les « petits » fraudeurs quand la fraude fiscale de haut vol, elle, coûte des milliards et reste souvent impunie ?
La lutte contre les abus ne doit pas se transformer en croisade idéologique. Elle doit rester un outil au service d’une société solidaire, pas un levier pour polariser l’opinion publique.
Libertés contre efficacité : un équilibre fragile
L’affaire de cette avocate « fantôme » est un symptôme.
Mais la vraie maladie pourrait être ailleurs :
dans l’obsession du contrôle,
la réduction de la politique sociale à une logique de suspicion,
et la dilution progressive des droits fondamentaux au nom de l’“efficacité”.
Enfin la fraude sociale doit être combattue. Mais pas au prix de nos libertés.
Le véritable défi est de concilier justice sociale et respect des droits fondamentaux.
Si l’État devient un simple gendarme, prompt à sanctionner mais lent à accompagner, alors il aura perdu ce qui fait sa légitimité : servir l’intérêt général avec équité, non avec méfiance.
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