Opinion
L’Arizona au pied du mur, Bruxelles à bout de souffle
Par Kadir Duran – Bruxelles Korner
Le gouvernement fédéral “Arizona”, dirigé par Bart De Wever, peine à s’accorder sur un plan d’assainissement de 10 milliards d’euros exigé par l’Europe et scruté par les marchés.
Dans le même temps, la Région bruxelloise, privée de majorité et d’accord budgétaire, cherche désespérément à combler un trou de 1,5 milliard tout en sauvegardant son modèle social.
Deux scènes politiques, deux impasses, un même enjeu : qui paiera la facture d’un État à court de souffle ?

Crise budgétaire à double vitesse : l’Arizona face à l’épreuve du temps, de l’argent et de la crédibilité
La Belgique traverse l’une des crises budgétaires les plus complexes de son histoire récente. Deux fronts s’ouvrent simultanément : au niveau fédéral, la coalition Arizona peine à s’accorder sur un plan d’assainissement de 10 milliards d’euros réclamé par Bruxelles et scruté par les agences de notation. Au niveau régional, la capitale belge doit combler un gouffre de 1,5 milliard d’euros tout en dégageant 1 milliard d’économies d’ici 2029.
Mais ce n’est pas tout. Le gouvernement De Wever doit également faire adopter avant la fin de l’année son « zomerakkoord » — l’accord de l’été — qui regroupe une série de réformes majeures. Sans vote rapide, c’est tout l’édifice qui risque de s’effondrer.
Un gouvernement piégé par le calendrier
Le Premier ministre Bart De Wever (N-VA) se trouve dans une situation inédite : il n’a toujours pas pu prononcer sa déclaration de politique générale devant la Chambre, faute d’entente budgétaire entre les cinq partis de sa coalition — N-VA, MR, Les Engagés, CD&V et Vooruit.
Le Parlement a fixé une date butoir : le 6 novembre. Passé ce délai, impossible de voter le budget avant le 31 décembre. Le pays basculerait alors dans un régime de « douzièmes provisoires », une gestion au mois le mois qui paralyse toute nouvelle initiative et ternit l’image de la Belgique sur les marchés financiers.
L’urgence est double. Au-delà du budget, le gouvernement doit aussi faire adopter une série de lois issues de l’accord de l’été, censées entrer en vigueur le 1er janvier 2026. Ces réformes touchent la fiscalité, les pensions, le marché du travail et la santé. Sans adoption rapide, tout le plan risque de partir en fumée.
L’accord de l’été : sept réformes sous pression
Une taxe de 10 % sur les plus-values
Grande victoire des socialistes flamands de Vooruit, cette taxe doit frapper les gains réalisés sur les actions, assurances-vie, cryptomonnaies et devises. Problème : les banques doivent enregistrer la valeur des avoirs de leurs clients au 31 décembre 2025, mais les modalités d’application restent floues. Sans directives claires, c’est le chaos technique assuré.
Un coup de pouce fiscal pour les travailleurs
La réforme prévoit une hausse progressive de la quotité exemptée d’impôt, qui passerait de 10.910 euros à 15.300 euros d’ici 2029. Les allocations familiales augmenteront, la cotisation spéciale de sécurité sociale diminuera, et des mesures ciblées encourageront les indépendants en personne physique, tout en freinant le recours aux sociétés de management.
La réforme des pensions, course contre la montre
Dès janvier 2026, un système de bonus-malus selon la durée de carrière devrait voir le jour. Mais le SPF Pensions tire la sonnette d’alarme : sans textes légaux rapidement votés, impossible d’adapter à temps les logiciels et calculs. Une deuxième phase, prévue pour 2027, limiterait les départs anticipés et harmoniserait les régimes entre salariés, indépendants et fonctionnaires.
Malades de longue durée : 1,8 milliard d’économies visées
La Belgique dépense entre 14 et 15 milliards d’euros par an pour les malades de longue durée. Le gouvernement veut récupérer 1,8 milliard via un contrôle renforcé et une responsabilisation accrue des employeurs et mutualités. Le ministre Frank Vandenbroucke (Vooruit) ambitionne d’intégrer ces mesures dans une loi-cadre d’ici mi-novembre — un calendrier pour le moins audacieux.
Flexibiliser le marché du travail pour atteindre 80 % d’emploi
L’objectif est clair : porter le taux d’emploi à 80 % d’ici 2029. Pour y parvenir, l’Arizona veut élargir le travail de nuit, raccourcir les préavis, uniformiser les heures supplémentaires et étendre les flexi-jobs. Mais le Conseil d’État a retoqué plusieurs dispositions, notamment une violation des conventions de l’OIT sur les primes de nuit. Retour à la case départ, donc nouveau retard.
Soins de santé : une réforme en marche forcée
Frank Vandenbroucke mène également la refonte du système de santé : plafonnement des suppléments d’honoraires d’ici 2028, nouvelles règles de conventionnement des médecins, et meilleure maîtrise budgétaire. Le ministre a déjà appliqué certaines mesures avant même leur vote parlementaire, provoquant la colère du corps médical.
Un plan militaire de 34 milliards d’euros
La future loi de programmation militaire prévoit des investissements massifs : onze F-35 supplémentaires, frégates, drones, véhicules blindés, cybersécurité, capacités spatiales… Une enveloppe record qui devra elle aussi recevoir le feu vert parlementaire avant 2026.
Le pari impossible de l’Arizona
Le gouvernement De Wever se retrouve face à un double défi : boucler un budget fédéral crédible avant le 31 décembre, tout en faisant adopter une batterie de réformes structurelles dans un Parlement déjà saturé, et ce avant même les fêtes de Noël.
Chaque jour de retard compromet l’application des réformes promises et fragilise la stabilité du pays. Sans compromis rapide, le spectre d’une paralysie politique plane, accompagné d’une possible dégradation de la note souveraine de la Belgique par les agences de notation.
Entre le fédéral et le régional, le dilemme est identique : réformer sans tout casser, économiser sans asphyxier. Mais tant que personne n’acceptera de dire clairement qui devra payer la facture, aucun accord durable ne pourra émerger. La coalition Arizona joue sa crédibilité sur un fil — et l’horloge tourne.
Ce qui se passe au Parlement bruxellois : une crise budgétaire à bout de souffle
Au Parlement bruxellois, la situation est à la fois politique, financière et symbolique. Alors que le fédéral cale sur son budget, la Région capitale vit un blocage institutionnel presque total. Les négociations menées par David Leisterh (MR) pour former un nouveau gouvernement régional et adopter un plan d’assainissement sont dans une impasse qualifiée de “mort clinique” par plusieurs sources internes.
Des négociations paralysées
Depuis plusieurs semaines, les six partis bruxellois (MR, PS, Les Engagés, Open VLD, Vooruit et Groen) discutent d’un plan visant à réduire le déficit de 1,5 milliard à 500 millions d’euros d’ici 2029, soit un effort d’un milliard d’euros. Mais chaque réunion se termine dans la nuit sans résultat concret.
Le point d’achoppement principal : l’équilibre entre rigueur budgétaire et protection sociale. Le MR pousse pour un assainissement strict, inspiré des règles de bonne gestion : geler les dotations vers les communes, freiner les recrutements publics, réduire les subsides facultatifs, revoir les tarifs de la STIB et des services régionaux. Le PS, mené par Ahmed Laaouej, refuse toute mesure qui pénaliserait les citoyens les plus précaires. Pour lui, les propositions libérales s’apparentent à une “cure d’austérité aveugle”.
À ce clivage s’ajoute un désaccord comptable : une provision budgétaire de 300 millions d’euros inscrite au budget 2025. Le MR la considère comme un artifice qu’il faut corriger ; le PS estime qu’elle fait partie de l’effort déjà accompli. Résultat : le fossé se creuse encore.
Une scène parlementaire en déliquescence
Pendant que les négociateurs s’affrontent, le Parlement bruxellois fonctionne au ralenti. Les commissions tournent à vide. Une scène, révélatrice, a récemment fait le tour des médias : lors d’une séance de la commission des affaires intérieures, le ministre-président Rudi Vervoort (PS) a dû répondre à des questions… devant seulement quatre députés présents. Certains élus posent des questions et quittent la salle avant même d’écouter les réponses.
Le ministre-président a parlé d’un “spectacle affligeant”, y voyant “un parfum de fin de règne”. Les tensions entre N-VA et PS, les querelles sur la sécurité, la criminalité ou la gestion urbaine parasitent les débats. Résultat : la vie parlementaire est devenue apathique, et les dossiers s’empilent sans être tranchés.
Le plan Leisterh : une “offre finale” rejetée
La dernière note de David Leisterh, présentée comme sa “Best And Final Offer”, proposait des mesures jugées trop dures par la gauche : réduction des dotations communales, coupes dans les subsides, hausse du prix des sacs-poubelles, limitation de l’indexation dans la fonction publique, ajustement des tarifs STIB pour les non-Bruxellois, économies sur le musée Kanal et la rénovation urbaine.
Le PS a rejeté le texte, estimant qu’il fragiliserait encore les classes moyennes et populaires. Le MR, lui, accuse les socialistes de bloquer toute réforme structurelle et de refuser la réalité budgétaire.
Une crise politique larvée
Le malaise dépasse le budget. Bruxelles vit depuis plus de 500 jours en affaires courantes, et le climat est marqué par une lassitude générale : élus absents, querelles partisanes, et perte de confiance dans les institutions régionales. Les libéraux dénoncent un “manque de courage politique” tandis que les socialistes parlent d’une “tentative de démantèlement du modèle social bruxellois”.
Le risque, désormais, est double : financier, si la Région ne parvient pas à présenter un budget crédible, ce qui ferait grimper les taux d’emprunt ; institutionnel, si la coalition ne se reforme pas avant la fin de l’année, menaçant la continuité politique et les investissements publics.
Une capitale indispensable mais à bout de souffle
Le paradoxe bruxellois reste entier : selon la Banque nationale de Belgique, Bruxelles est la région la plus productive du pays, mais aussi la plus fragile socialement. Chaque jour, plus de 400 000 navetteurs flamands et wallons viennent y travailler, emportant leur revenu fiscal ailleurs. Résultat : Bruxelles crée la richesse, mais ne la garde pas.
Et pendant que le fédéral se bat pour éviter un “naufrage budgétaire”, la Région capitale, elle, risque de couler lentement sous le poids de son propre immobilisme politique. Le Parlement bruxellois est quasiment paralysé. Le gouvernement régional n’existe toujours pas, faute d’accord. La méfiance entre MR et PS bloque tout progrès. Et la fatigue institutionnelle atteint un point critique.
Bruxelles, poumon économique du pays, donne aujourd’hui l’image d’une capitale à bout de souffle — incapable de trancher entre austérité comptable et solidarité sociale.










Yorum Yazın