L’Europe ne veut pas d’une “tête de Turc”
Pourquoi la Turquie reste le seul candidat à être mis au frigo alors que les Balkans avancent à grande vitesse
Par Kadir Duran /Bruxelles Korner

L’adhésion de nouveaux États à l’Union européenne : un horizon qui se rapproche
L’élargissement de l’Union européenne entre dans une nouvelle phase.
Parmi les neuf pays candidats –
Monténégro,
Albanie,
Ukraine,
Moldavie,
Serbie,
Macédoine du Nord,
Bosnie-Herzégovine,
Turquie et
Géorgie – deux pays se détachent nettement : le Monténégro et l’Albanie.
Bruxelles rappelle le principe cardinal :
l’élargissement repose sur le mérite et sur des engagements concrets.
Chaque progrès exige des réformes, la défense de l’État de droit et l’intégration progressive des normes européennes.
Pour plusieurs États membres, dont la France, la logique est claire :
Une Union plus large mais plus solide,
C’est plus de sécurité, de stabilité et d’influence dans un monde fragmenté.
Préparer l’élargissement, c’est préparer l’avenir de l’Europe.
Mais ce futur ne semble pas inclure pas encore la Turquie.
Pourquoi la Turquie n’avance-t-elle plus dans son processus d’adhésion à l’UE ?
La question revient sans cesse.
Et la réponse, froide, bureaucratique, politique, tient en un constat :
les conditions ne sont plus réunies ni à Bruxelles, ni à Ankara.
1. Un processus d’adhésion officiellement “gelé” depuis 2018
Le Conseil de l’UE l’a confirmé :
aucune négociation supplémentaire n’est possible dans le cadre actuel.
La Turquie reste candidat officiel, mais le dossier est rangé au frigo, étiqueté “jusqu’à nouvel ordre”.
2. L’État de droit et les droits fondamentaux : le nœud du problème
Depuis 2016, l’UE observe :
• recul de l’indépendance de la justice,
• pressions sur les médias,
• usage extensif des lois antiterroristes,
• restrictions sur les ONG,
• affaiblissement de l’opposition démocratique.
Tant que ces critères ne reviennent pas au niveau des standards européens,
aucun chapitre d’adhésion ne sera rouvert.
3. Une gouvernance politique jugée incompatible
Le passage à un hyper-présidentialisme, la concentration du pouvoir et les tensions politiques internes sont interprétés comme un éloignement des critères de Copenhague.
4. Les tensions en Méditerranée orientale et au Moyen-Orient
Mer Égée, Syrie, Libye, forages gaziers, frontières aériennes :
le dialogue est ponctué de crises.
Or un pays en litige avec plusieurs voisins européens n’est pas considéré comme “élargissable”.
5. Le dossier chypriote : le veto automatique
C’est le blocage structurel.
Un conflit gelé avec un État membre =
veto permanent dans le processus d’adhésion.
Simple. Mécanique. Infranchissable.
6. L’adhésion n’est plus une priorité d’Ankara
La Turquie s’oriente vers :
• plus d’autonomie stratégique,
• des alliances flexibles (OTAN, Asie centrale, Golfe, Russie),
• des partenariats bilatéraux plutôt qu’une intégration contraignante.
Et l’opinion publique turque se montre, elle aussi, de plus en plus sceptique.
7. L’UE privilégie aujourd’hui l’Est pas l’Anatolie
Ukraine, Moldavie, Balkans occidentaux :
la priorité est la sécurité contre la Russie,
la stabilisation des Balkans,
et la compétition géopolitique avec Moscou et Pékin.
La Turquie n’entre plus dans cette équation stratégique.
Conclusion intermédiaire :
La Turquie n’est pas exclue… mais elle n’est plus dans la file d’attente active
Le modèle actuel est clair :
coopération stratégique,
modernisation de l’union douanière,
accords migratoires,
sécurité et énergie.
Pas une adhésion.
Pas même une “pré-adhésion”.
Un partenariat fonctionnel, sans horizon d’intégration.

La vérité brute : l’UE veut aujourd’hui des pays “faciles”, pas des partenaires compliqués
Et la Turquie est de très loin le partenaire le plus complexe du continent.
Voici les trois raisons systémiques.
A. Le conflit géopolitique avec Chypre
Un seul conflit = un veto automatique.
Ce n’est ni religieux, ni identitaire.
C’est juridique.
B. Un alignement diplomatique minimal
Alignement CFSP 2024–2025 :
• Turquie : 5 à 7 %
• Albanie : 100 %
• Monténégro : 100 %
Tu peux être musulman, chrétien ou athée :
pour entrer dans l’UE, il faut parler avec la voix de l’UE en politique étrangère.
Ankara refuse. Bruxelles ferme la porte.
C. Des écarts persistants en matière d’État de droit
Le rapport 2025 est clair :
• aucun progrès sur les arrêts CEDH,
• pressions sur les médias (RSF 2025 : 159ᵉ/180),
• cadre anticorruption insuffisant,
• justice politisée.
Ce n’est pas religieux.
C’est institutionnel.
Analyse du rapport “Türkiye 2025” — Chapitre par chapitre

Relations UE–Turquie
• Négociations gelées depuis 2018
• Commerce record : 210 milliards €
• L’UE a versé 11 milliards € pour les réfugiés syriens
• Coopération migratoire essentielle
Politique étrangère (Chapitre 31)
• Alignement CFSP : très faible
• Positions turques “à contre-courant” des priorités européennes
État de droit & droits fondamentaux
• 69 arrêts CEDH non exécutés
• 205 dossiers sous surveillance renforcée
• Liberté de la presse “très grave” (RSF)
Bon voisinage
• Blocage total sur Chypre
• Forages et tensions navales → sanctions limitées
Critères économiques
• Déséquilibres, manque de transparence, gouvernance des entreprises publiques
Climat, énergie, environnement
• Avancées techniques (ETS turc)
• Mais alignement incomplet sur normes européennes
Pourquoi les Balkans avancent-ils plus vite ?
Rien à voir avec la religion.
Tout à voir avec la géopolitique et la compatibilité politique.
Albanie &
Monténégro
• Alignement 100 % sur politique étrangère
• Réformes judiciaires plus avancées
• Aucun conflit avec des États membres
• Soutien total à la politique de sanctions
• Dossiers techniques (marché intérieur, SEPA, acquis) qui progressent vite
Turquie
• Alignement minimal
• Conflit avec Chypre
• Dossier politique explosif
• Taille du pays → risque d’absorption institutionnelle
• État de droit jugé incompatible
Conclusion La vérité sans filtre
La Turquie n’est pas bloquée parce qu’elle est musulmane.
Elle est bloquée parce qu’elle est :
un acteur puissant, non docile ;
en conflit avec un État membre ;
peu alignée sur la diplomatie européenne ;
éloignée des standards de Copenhague ;
trop grande pour une intégration “automatique” ;
devenue un partenaire stratégique pas un candidat politique.
Les Balkans avancent plus vite non pas parce qu’ils sont “chrétiens”,
mais parce qu’ils sont petits, alignés, stratégiquement utiles et politiquement gérables.











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