Tomris Hatun : la première femme souveraine turque, héroïne oubliée de l’histoire
Par Kadir Duran – Bruxelles Korner
Dans l’imaginaire collectif, les grands conquérants de l’Antiquité sont presque toujours des hommes : Alexandre le Grand, Darius, Cyrus… Pourtant, au VIe siècle avant notre ère, une femme prit les armes et entra dans la légende : Tomris Hatun, reine des Sakas (ou Massagètes), que certains considèrent comme la première femme turque à régner.
Une reine face à l’Empire perse
Veuve d’un roi saka, Tomris succéda à son époux et assuma seule le pouvoir de sa tribu. Son objectif : maintenir la paix et protéger ses terres. Mais l’Empire perse, alors en pleine expansion sous Cyrus le Grand, avait d’autres ambitions.
Cyrus proposa d’abord à Tomris une alliance par le mariage une offre qui cachait, en réalité, une tentative de conquête déguisée. Méfiante, la reine refusa. L’empereur lança alors une expédition militaire.
Les Massagètes, peuple nomade des steppes, se battirent avec acharnement. Mais Cyrus, rusé, organisa un piège : un banquet de vin et de festins pour enivrer ses adversaires, peu habitués à l’alcool. Pris dans l’embuscade, une partie de l’armée saka fut massacrée et Spargapises, le fils de Tomris, fut capturé avant de se suicider.
La reine, anéantie mais déterminée, jura vengeance.
La bataille décisive
Quelques mois plus tard, près de la rivière Araxe (actuel Syr-Daria), l’armée de Tomris affronta de nouveau celle de Cyrus. Hérodote, seule source antique à relater l’événement, décrit une bataille d’une violence inouïe, « la plus sanglante jamais livrée en dehors des terres grecques ».
Les Sakas, cavaliers redoutables, archers hors pair, infligèrent une lourde défaite aux Perses. Cyrus fut tué au combat. Fidèle à son serment, Tomris fit plonger sa tête dans un tonneau de sang en lançant ces mots restés célèbres :
« Tu n’as jamais cessé de vouloir du sang, je vais t’en donner à boire jusqu’à satiété ! »
Entre histoire et mythe
Le récit de Tomris reste sujet à débat. Hérodote est la seule source antique à la mentionner, et d’autres chroniqueurs comme Ctésias ne parlent pas d’elle. Pour certains historiens, il s’agit donc d’un personnage semi-légendaire, à mi-chemin entre l’histoire et le mythe.
Mais au-delà de la question de son authenticité, son histoire résonne comme un symbole : celui d’une femme qui, au cœur d’un monde dominé par les empires et les chefs de guerre masculins, osa défier l’un des plus puissants souverains de l’Antiquité.
Héritage et postérité
La figure de Tomris Hatun a traversé les siècles. Dès la Renaissance, elle inspira les artistes européens : Rubens, Castagno ou encore des poètes comme Eustache Deschamps. Elle fut représentée tenant la tête de Cyrus, incarnation du pouvoir des femmes face aux hommes.
Aujourd’hui, elle est célébrée en Asie centrale, notamment au Kazakhstan, qui en a fait une héroïne nationale, émettant même des pièces à son effigie. En 2019, le film kazakh Tomyris a relancé son mythe sur grand écran.
Dans la culture populaire moderne, elle apparaît aussi dans le jeu vidéo Civilization VI comme dirigeante des Scythes.
Une héroïne à réhabiliter
Pourquoi connaît-on si peu Tomris Hatun, quand Cyrus ou Alexandre occupent une place centrale dans nos manuels ? Sa mémoire s’est sans doute effacée, en partie parce que l’histoire a longtemps été écrite par et pour les hommes.
Pourtant, son récit s’inscrit dans la grande fresque de l’Antiquité. Qu’elle ait été une reine guerrière bien réelle ou une légende façonnée par Hérodote, Tomris Hatun symbolise la résistance, la bravoure et la place des femmes dans l’histoire.
Un rappel précieux : même dans les époques les plus lointaines, certaines figures féminines ont marqué l’histoire au fer rouge.
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