Dracula Untold : Quand la légende vampirique efface l’Histoire… et renforce les clichés
Par Kadir Duran
Dracula Untold (2014), production spectaculaire réunissant les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Irlande et le Canada, se présente comme une fresque sombre mêlant mythe vampirique et éléments historiques. Mais sous ses allures d’épopée fantastique, le film dénature gravement les faits historiques et stigmatise une civilisation réelle, au mépris de toute rigueur ou responsabilité culturelle.
Une fiction qui instrumentalise l’histoire
Au cœur du récit : Vlad III, dit "l'Empaleur", prince de Valachie, qui conclut un pacte avec un vampire pour sauver son peuple de l’Empire ottoman. Si le film revendique une approche "fantastique", il utilise pourtant des noms et des événements réels, comme celui du sultan Mehmet II, figure historique majeure, connu pour la prise de Constantinople et son rôle dans l’histoire méditerranéenne et européenne.
Mais ici, le sultan devient l’antagoniste absolu, cruel, dominateur, ordonnant l’enlèvement d’enfants pour en faire des soldats. Ce trope récurrent — celui du despote oriental sanguinaire — renforce une vision orientaliste dépassée, transformant l’Empire ottoman en menace inhumaine, face à un héros chrétien aux airs de martyr.
Le problème : entre mythe et amalgame
Le public non averti est naturellement tenté de prendre ces représentations pour argent comptant, surtout lorsque le film prétend s'ancrer dans une réalité historique (1462, Valachie, armée ottomane, etc.). Or, ces éléments ne sont qu’un décor superficiel au service d’un récit manichéen : l’Occident noble contre l’Orient barbare.
Même dans le cadre d’une œuvre de fiction, ce type de traitement pose un réel problème d’éthique culturelle :
Pourquoi reprendre des personnages historiques (Mehmet II, Vlad Tepes, l’Empire ottoman) si le but est de tout transformer en caricature ?
Pourquoi ne pas créer un univers entièrement fictif, au lieu de véhiculer des stéréotypes dangereux sous couvert d’entertainment ?
Une superproduction aveugle à la nuance
Avec 70 millions de dollars de budget, une distribution internationale et une ambition de créer un "Dark Universe", Dracula Untold aurait pu devenir une fresque originale et audacieuse. Au lieu de cela, le film recycle des clichés médiévaux et orientalistes, sans aucun souci pour la véracité ou la sensibilité historique.
Plus grave encore : aucune commission de censure ou d’éthique ne semble avoir remis en cause cette représentation, pourtant problématique, de figures historiques ottomanes présentées comme monstres ou ennemis de l’humanité.
Conclusion : fiction oui, mais pas au prix du mépris historique
Dracula Untold n’est pas qu’un divertissement vampirique. Il s’inscrit dans une longue tradition de récits où l’histoire est manipulée au profit d’un discours simpliste : l’Empire ottoman y incarne une menace à éradiquer, sans nuance ni complexité.
Il est temps de rappeler que l’imaginaire collectif se forge aussi au cinéma, et que de telles productions, diffusées mondialement, contribuent à perpétuer des visions biaisées de l’Autre, de l’Orient, de l’Islam ou du passé ottoman.
Yorum Yazın