La Belgique crée son “monstre de Loch Ness judiciaire” : un PNF surpuissant pour traquer les fraudeurs
Par Kadir Duran / Bruxelles Korner

Bruxelles,
La Belgique vient peut-être de créer son propre monstre de Loch Ness judiciaire.
Un appareil massif, blindé de juges, de magistrats, de juristes et d’enquêteurs spécialisés, doté de moyens renforcés et d’une mission unique : matraquer la fraude fiscale et sociale.
Mais derrière cette montée en puissance exceptionnelle d’une justice financière encore embryonnaire en Belgique, une question brûlante se pose :
sommes-nous en train de bâtir un État dans l’État , un mécanisme quasi immunisé difficile à contrôler une fois lancé ?
Plongeons dans les détails.
Un Parquet National Financier “à la française” : la surprise sortie du chapeau fédéral
Contre toute attente, le gouvernement fédéral a décidé de créer un Parquet National Financier (PNF), inspiré du modèle français. Une décision d’autant plus surprenante qu’elle avait été écartée lors de la formation de l’Arizona, sous la pression du MR et de la N-VA.
C’est finalement une négociation nocturne, portée par Les Engagés, qui a remis le projet sur la table et l’a fait passer par la fenêtre fédérale.
Le dispositif prévu :
10 magistrats du parquet
10 juristes associés
Budget complet pour locaux + personnel administratif
Renfort policier massif : +30 enquêteurs spécialisés pour l’OCDEFO et l’OCRC
Au tribunal de Bruxelles :
+5 juges d’instruction
+3 juges à la Cour d’appel
Renforcement global de la chaîne antifraude : 377 agents supplémentaires, dont 100 policiers fédéraux
La ministre de la Justice Annelies Verlinden annonce 15 millions d’euros pour muscler la justice pénale financière.
Un investissement inédit.
L’espoir budgétaire : un milliard français, mais combien en Belgique ?
Le gouvernement fixe déjà ses objectifs.
Selon les prévisions budgétaires fédérales, le PNF belge devrait rapporter :
20 millions en 2027
95 millions en 2028
175 millions en 2029
Une ambition forte… mais qui reste loin du modèle français, où le PNF, doté de 19 magistrats, génère près de 1 milliard d’euros par an.
Rappel : en Belgique, sur 300 à 400 millions d’amendes prononcées chaque année, seule la moitié est réellement perçue.
30 milliards de fraude : l’urgence d’agir
Le président de la Commission Justice, Ismaël Nuino (Les Engagés), rappelle que le SPF Finances estime la fraude fiscale à 30 milliards d’euros par an.
Une somme astronomique qui justifie, selon lui, un dispositif d’exception.
“Alors que le gouvernement demande des efforts à chacun, nous devons être intraitables avec la fraude fiscale.”
Ismaël Nuino
Les Engagés revendiquent d’ailleurs la paternité politique de cette mesure, déjà portée au début des négociations, mais bloquée par leurs partenaires.
DéFI, précurseur oublié… et premier à poser la vraie question : l’indépendance
DéFI, qui défendait un PNF dès les discussions de 2024 avec le magistrat Michel Claise, se dit surpris — et même enthousiaste — mais reste prudent.
“Maintenant, il faudra voir dans quelle mesure ce nouveau parquet sera indépendant.”
François De Smet (DéFI)
C’est peut-être la question la plus importante.
Un PNF puissant, centralisé, doté de moyens colossaux… peut devenir soit :
un rempart solide contre la criminalité financière,
soit un outil politique potentiellement dangereux si son indépendance n’est pas irréprochable.
Un État dans l’État ? Une machine judiciaire à double tranchant
En concentrant autant de pouvoirs, de renforts, de policiers et de magistrats spécialisés sous une seule bannière, la Belgique crée une entité qui pourrait devenir l’arme la plus efficace jamais déployée contre la fraude.
Mais cette force exceptionnelle comporte un risque :
La création d’un organe surpuissant, potentiellement incontrôlable, et difficilement encadrable par le politique une fois lancé.
D’autant plus dans un pays où :
la justice souffre de lenteurs structurelles,
les arbitrages politiques influencent souvent les priorités judiciaires,
et où la transparence n’est pas toujours exemplaire.

Pour finir un tournant historique, mais une vigilance absolue s’impose
Le PNF belge pourrait devenir :
l’arme ultime contre la fraude de masse,
ou une immense machine bureaucratique, incapable de tenir ses promesses,
ou encore un outil de pression politique, selon son degré d’indépendance réelle.
Une chose est sûre :
Les Engagés ont remporté une victoire politique majeure.
Le MR et la N-VA ont cédé là où on ne les attendait plus.
Et la Belgique entre dans une nouvelle ère de justice économique.
Reste à savoir si ce “monstre de Loch Ness judiciaire” sera une créature utile…
ou une bête incontrôlée.










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