Selon Marianne
La Belgique sur la route du djihad
A peine plus d’une heure de route le sépare également de Tourcoing, dans le Nord de la France, où il a grandi. Ce n’est pourtant qu’à son retour de Syrie que le jeune homme échoue à Bruxelles. D’autres avant lui ont emprunté le même chemin. Voire le chemin inverse. Comme cette quinzaine de jeunes, originaires de Molenbeek, partis combattre, début 2013, en Syrie. Combien aujourd’hui ? Les registres communaux ne comptent qu’une dizaine de radiations effectives ou en cours, une conséquence ces départs sur les sentiers de la guerre sainte. « La rumeur bruxelloise » elle, est plus« loquace », confie l’humanitaire belge Bahar Kimyongür. « Il suffit de tendre l’oreille de temps en temps et de suivre certaines conversations pour se rendre compte que la Syrie est devenue omniprésente. »
Rien qu’à Bruxelles, 54 jeunes auraient en effet pris le départ pour Alep, Idlib ou encore Raqqa selon le dernier décompte du blogueur Pieter Van Oestaeyen. Quarante-six jeunes pour la ville Anvers. A elles deux, les deux communes représentent presque un tiers des départs officiellement recensés par les autorités. Près de 350 au total. Six fois plus de départs qu’en France, en proportion, si l'on ramène leur nombre à la population totale. Alors pourquoi la Belgique ? A Molenbeek, souvent dépeint comme un « hameau djihadiste », la question agite depuis longtemps ses habitants.
MOLENBEEK, LES ANTÉCÉDENTS
Molenbeek avait déjà connu de violents affrontements deux ans plus tôt suite au contrôle d’une jeune convertie, Stéphanie, ayant refusé d’ôter son voile intégral, également interdit en Belgique. « Prise de panique je pensais que j’allais mourir là » déclarait-t-elle lors d’une improbable conférence de presse organisée par le leader de Sharia4Belgium, Fouad Belkacem, 32 ans. Stéphanie ne serait autre que l’épouse de l’un des membres de ce groupuscule qui militait, avant d’être dissous, pour l’instauration d’un califat en Belgique. En représailles du contrôle de police, Fouad Belkacem aurait lui même demandé à ses recrues d’attaquer le commissariat de Molenbeek.
Un prosélytisme violent, qu’il nie mais qui le conduit pourtant aujourd’hui, aux côtés de 45 autres prévenus, sur le banc des accusés. Il encourt jusqu’à 15 ans de prison pour être à la tête de cette organisation soupçonnée par ailleurs d’avoir incité et acheminé des jeunes belges en Syrie. Jejoen Bontinck, 19 ans, est l’un d’eux. Exfiltré par son père, il raconte au cours du même procès son endoctrinement. Il risque, lui, quatre ans de prison.
De son côté, Abdel Rahman Ayachi n’a pas eu le temps d’être jugé. Il est mort, en juin 2013, en Syrie où il dirigeait les Faucons du Cham, une armée de 600 hommes. Installé avec son père à Molenbeek, depuis le début des années 90, il se cachait derrière le site internet Assabyle dont les forums permettaient d’établir une liaison directe entre les futurs combattants et leur chef spirituel, un prédicateur franco-syrien, le cheikh Bassam Ayachi... son père. Pour cela, père et fils avaient monté une petite structure familiale, le Centre islamique belge, le (CIB), à Molenbeek. Où ils ont notamment fréquenté le Tunisien Abdessatar Dahmane, auteur de l’attentat qui a tué, en 2001, en Afghanistan, le commandant Massoud. Deux jours avant les attentats du 11 septembre.
Si les exemples de jeunes ayant succomber à l'appel du djihad se succèdent, la mère d’un jeune molenbeekois parti lui aussi récemment en Syrie ne semble se reconnaître dans aucun d’entre eux. Ses yeux, mouillés, brillent à l’évocation de son fils. « On culpabilise, on se demande qu’est-ce qu’on a manqué ? » s’interroge-t-elle avant de revenir sur une poignée de souvenirs. « Tout est allé si vite… Il s’est laissé pousser la barbe… Puis il a enlevé tous les bibelots de la maison, a décroché les tableaux… Et un jour il est parti… » « On a perdu le sommeil » conclut une autre mère, qui retarde l’heure du coucher comme pour différer celle réveil.
Aucune d’entre elles ne souhaite dévoiler son identité pour nous parler car de « là-bas, ils (leur fils, ndlr), voient tout » et les accusent : « C’est de votre faute si on va en prison, vous qui parlez » leur font-ils savoir. Mais pour les mères, contraintes de prendre un nom d'emprunt pour s'exprimer en public, « c’est un problème de ne pas pouvoir parler ». Restées en contact régulier avec leurs enfants, auxquels elles demandent « une petite bulle (comprendre : un message; ndlr) par jour », leurs cœurs s’accélèrent depuis la multiplication des frappes de la coalition emmenée par les Etats-Unis.
L’Etat belge, quant à lui, ne les aide pas, pas plus qu’il ne les consulterait, selon elles, malgré la mise en place d’une « Task force » par l’ancienne ministre de l’Intérieur Joëlle Milquet. Les autorités belges détournent-elles le regard pour autant ?
SOUS SURVEILLANCE
Les « six principes intangibles » du wahabbisme y sont-ils véhiculés ? Le Vif,hebdomadaire belge francophone, posait cet été la question en énumérant successivement les différents piliers de ce courant puritain de l’islam. Ainsi, arrivent en bonne place le « monothéisme absolu (tawhid), l’interdiction des innovations impies (bid'a), la loyauté à l'égard de "l'islam pur" et la dissociation avec tout ce qui n'est pas musulman ou musulman conforme, comme les soufis ou les chiites (Al wala wa I bara) ». Juste derrière cependant : « l’excommunication des mécréants et des musulmans déviants (takfir) » et « le combat armé (djihad) ».
Aucune preuve ne permet à ce jour d’incriminer les responsables du Centre islamique et culturel de Bruxelles mais leurs prêches posent toutefois quelques questions. Et notamment celle-ci. Pourquoi Abdelkader Merah, connu pour défendre des positions aussi radicales que celles de son frère, Mohamed Merah, auteur des attentats de Toulouse, a-t-il assisté, selon une note des renseignements français, le 14 janvier 2007, à l’écart du centre ville toulousain, à une conférence de Rachid Haddach, célèbre prédicateur lié au CICB de Bruxelles et débarqué la veille à l’aéroport de Carcassonne ?
L’intéressé qui n'officie plus, nous dit-on au CICB, refuse toute interview selon le quotidien belge le Soir. « Vous, les journalistes, vous n’écrivez que des mensonges à notre sujet » déclarait déjà Rachid Haddach, en 2012, en réponse à un reportage du journal qui proposait une « plongée » dans le milieu salafiste bruxellois. Si tous les salafistes ne prônent pas le djihad, certains de leurs conseils mettent néanmoins à mal la cohésion sociale. Venu écouter Rachid Haddach, à Anderlecht, en 2012, le journaliste du Soir raconte donc. « Si on écoute bien, on peut percevoir à quel point (le discours de Rachid Haddach, ndlr) est radical. "Au lieu d’aller à l’école maternelle" conseille-t-il par exemple "les enfants doivent rester à la maison jusqu’à l’âge de six ans". » Rien d’illégal, l’école maternelle n’est pas obligatoire en Belgique même si elle est fréquentée par la quasi totalité des enfants. Mais Rachid Haddach ne cesse de frôler la ligne jaune. Il le sait, il est surveillé. De près.
ANVERS, LE REPÈRE INTÉGRISTE FLAMAND
En Belgique, la plupart des jeunes partis en Syrie sont d’ailleurs flamands, originaires de Vilvorde, Malines mais surtout donc d'Anvers où le Vlaams Belang d’extrême droite a réalisé, dans les années 2000 ses meilleurs scores, avant d’être laminée par les indépendantistes du NVA de Bart de Wever, le nouveau bourgmestre (maire) d’Anvers.
Brigitte Maréchal, sociologue de l’Islam à l’Université de Louvain se souvient d’un forum sur la confrontation des identités, organisé il y a quelques années à Anvers. Pour l’occasion, des personnes de tous bords avaient été invitées, issues de l’extrême droite tout comme de la Ligue arabe européenne créée en 2000 par Abu JhaJha, un militant attaché à la reconnaissance en Belgique de l’arabe comme langue nationale et opposé à l’interdiction du voile dans les établissements scolaires. « La réflexion qu’on s’était faite à l’époque » se remémore Brigitte Maréchal « c’était, au fond, combien ils se correspondaient, combien la radicalité des propos des uns était le miroir de la radicalité des propos des autres. »
Une tension qui a donné lieu à des émeutes, à Anvers, dix ans avant celles de Molenbeek, à l’automne 2002, après l’assassinat de Mohamed Achrak, un professeur marocain de religion islamique. Des militants de la Ligue arabe européenne avaient alors affronté la police. Pour les renseignements belges cependant, difficile d’estimer l’influence réelle des uns et des autres et leur part de responsabilité quant aux récents départs en Syrie. « Quand on analyse les départs, des ramifications autour d'un cercle restreint apparaissent nettement » expliquent-ils, comme si l’initiative de partir se jouait finalement au niveau de l’entourage le plus proche, dans le cercle le plus intime, familial notamment.
« Les jeunes n’ont plus besoin de la mosquée » analyse par ailleurs Bahar Kimyongür, l’humanitaire d’origine syrienne évoqué un peu plus tôt. « Ils n’ont pas un comportement religieux de longue date. » A ceux qui partent faire le djihad, à tous ces adolescents en perte de repères ou d’idéaux, au chômage pour certains, Bahar Kimyongür ajoute ce qu’il appelle la « majorité silencieuse », ceux qui se comptent par plusieurs dizaines et dont on ne parle jamais. « Ne sous estimons pas l’impact, la sympathie que soulève l’Etat islamique dans les rues européennes. Il y a une banalisation totale des symboles, du discours, et de ce principe insupportable qu’il faut haïr par amour de dieu ».
LE MODÈLE BELGE DE LA LAÏCITÉ
Sous l’égide de l’ambassade de Turquie à Bruxelles, ils ont alors crée la Diyanet, une association à but non lucratif qui contrôlerait nombre des 300 mosquées belges avec une particularité bien à elle : celle de former directement les imams qu’elle fait venir de Turquie sans même leur enseigner les bases rudimentaires du français ou du néerlandais. « Il est carrément scandaleux que les autorités n'imposent pas d'exigences linguistiques aux imams. On ne peut pas s'attendre à ce qu'un imam qui ne parle pas la langue, s'occupe de l'engagement social des jeunes » s’insurge le chercheur Montasser AlDe'emeh, spécialiste des phénomènes de radicalisation, dans Le Vif.
La Belgique semble tout juste prendre conscience de ces problématiques. Bien que l’Islam soit officiellement reconnu depuis 1974 et que des cours de religion islamique soient dispensés dans les écoles publiques depuis 1978, l’Exécutif des musulmans de Belgique, le (CEB), interlocuteur officiel des autorités, n’a vu le jour que près de vingt ans plus tard, en 1996.
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