Selon le Point
Attentats de Paris : que faut-il dire à nos enfants ?
INTERVIEW. Le pédiatre Aldo Naouri livre ses conseils sur la façon de parler aux enfants et de leur expliquer les attentats de Paris.
PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE ONO-DIT-BIOT
France, Haute-Savoie © GILLES LANSARD
Comme lors des attentats de janvier 2015, difficile de savoir ce qu'il faut dire, ce qu'il faut raconter ou non, aux enfants, que l'on souhaite protéger d'informations sinistres. La réponse du pédiatre Aldo Naouri*.
Le Point.fr : Face à ce nouveau déluge de violences, que peut-on dire, ou que ne faut-il pas dire, à son enfant ?
Aldo Naouri : On lui dit qu'une guerre se passe dans le monde, qu'elle est venue jusqu'à nous et que des gens sont là pour nous protéger. C'est la police, les militaires, qui combattent les assaillants. Ils font ce qu'il faut parce que c'est leur mission. Et ils ont réussi à prévenir de nombreux autres attentats.
Mais comment leur dire que la guerre, dont ils savent qu'elle avait lieu « ailleurs », est aujourd'hui dans leur pays, voire dans leur ville ?
Il faut leur dire que tous les pays sont en relation les uns avec les autres et que, quand il se passe quelque chose de mal quelque part, d'autres pays essaient d'aider ceux qui souffrent. Il faut leur dire que la France est intervenue pour combattre quelque chose qui était mauvais pour la France et les autres démocraties, et que les gens qu'on combat et qui ne veulent pas qu'on vive comme nous vivons sont venus faire la guerre ici.
Il faut donc prononcer le mot « guerre » ? C'est intelligible ?
On peut leur dire que c'est un « acte » de guerre, un « état » de guerre, c'est-à-dire que ça ressemble à la guerre, et comme on n'aime pas la guerre, on fait tout pour l'éviter. Les enfants comprennent parfaitement le langage adulte. Donc il faut répondre à leurs questions. La seule précaution à prendre est de les rassurer au maximum. On ne peut pas annuler l'anxiété des enfants, mais il faut les rassurer sur l'avenir immédiat. Il ne faut pas qu'ils pensent qu'ils ne doivent pas sortir dans la rue sous peine d'être tués.
Mais comment les rassurer ?
J'ai été enfant pendant la guerre. La plus grande protection pour les enfants, ce sont leurs parents. C'est ce qui les rassure le plus, que les parents disent : « Nous sommes là, tu es avec nous, nous te protégerons. » Et que vous allez rester avec eux, à la maison pour l'instant, le temps que la police fasse tout ce qu'il faut. C'est vraiment très important qu'ils perçoivent que les « corps » du pays oeuvrent contre ce danger.
Comment leur expliquer ce qu'est un « terroriste » ?
Très simplement. Que ce sont des gens pas futés et manipulés par d'autres. Qu'on leur a dit qu'il fallait faire ça et qu'ils ont été naïfs. On leur a « bourré le crâne ». C'est une image qui parle à l'enfant. Tout cela va attiser la curiosité de l'enfant et il ne faut pas la frustrer. On peut expliquer qu'il y a un État qui s'est constitué, l'État islamique, et que ses dirigeants veulent convertir le monde entier à l'islam, alors même que l'ensemble des musulmans ne le veulent pas.
Il ne faut pas donc avoir peur de parler d'islam ?
On peut tout dire, vraiment. Aucun mot n'est à éviter. De toutes les façons, ils les entendront et il vaut mieux que ce soit les parents qui verbalisent. Il suffit ensuite d'expliquer qu'il y a eu des terroristes dans toutes les religions. Des terroristes chrétiens au moment de l'Inquisition, des terroristes juifs en Palestine au moment du mandat britannique, des terroristes sans religion au moment de la révolution russe…
Que répondre à leur inquiétude liée au fait que – c'était le cas lors de la tuerie de Charlie Hebdo – ces tueurs ne viennent pas d'un autre pays, mais qu'ils sont français ?
Il faut avertir l'enfant que ce sont parfois, oui, des Français, mais qui se sentent d'abord surtout musulmans. Que l'islam comme toutes les religions prescrit l'amour, même si c'est difficile à penser devant ce qui vient de se passer. Mais aussi que toutes les religions ont commis des massacres au cours de l'histoire. Il faut dire qu'il y a des gens qui veulent tellement croire à des choses qu'ils sont prêts à tuer pour les choses auxquelles ils ont envie de croire, et soumettre les autres à leur opinion. Pour cela, ils veulent faire peur aux gens, pour qu'ils leur obéissent. En ce sens, une réponse possible est de leur dire que les terroristes n'ont pas de religion, car « religion » signifie « relier les gens entre eux », et pas les tuer. Il ne faut pas avoir peur, vraiment, d'expliquer les choses à ses enfants. De toute façon, ils ne vous laisseront pas tranquilles avant de savoir que vous êtes allés au fond de votre pensée. Les enfants sont branchés sur votre inconscient. Ils sont les derniers à être dupes.
*Dernier ouvrage paru, « les couples et leur argent » (Odile Jacob, 2015)
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