Une ville en vente : Bruxelles se prépare à céder son patrimoine et ses citoyens vulnérables avec ses PPP ("Pognons" Public-Privé)
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Opinion
Une ville en vente : Bruxelles se prépare à céder son patrimoine et ses citoyens vulnérables avec ses PPP ("Pognons" Public-Privé)
Par Kadir Duran – Bruxelles Korner
Un patrimoine colossal en quête de rénovation
Le CPAS de la Ville de Bruxelles possède un patrimoine immobilier exceptionnel : 2.300 logements, 150 rez-de-chaussée commerciaux (dont certains au prestigieux boulevard de Waterloo et au Sablon), des terrains agricoles et forestiers en Wallonie et en Flandre, ainsi que des bâtiments emblématiques comme le Grand Hospice ou l’Atelier des Tanneurs.
Le défi de taille : une grande partie de ce parc immobilier accuse son âge. Selon David Weytsman (MR), président du CPAS, 100 millions d’euros seraient nécessaires pour remettre à niveau l’ensemble du bâti résidentiel.
Dans un contexte où 11 communes bruxelloises sur 19 sont placées sous tutelle de la Région, la Ville de Bruxelles qui échappe encore à cette surveillance cherche désespérément les moyens de financer cette modernisation ambitieuse. Sa solution Miser massivement sur les partenariats public-privé (PPP) : le secteur privé finance la rénovation, le CPAS conserve la propriété et verse une redevance annuelle. La rénovation du Grand Hospice illustre parfaitement cette stratégie.
PPP, ventes et ajustements tarifaires
Pour financer cette rénovation titanesque, le CPAS déploie une stratégie à trois volets :
Partenariats public-privé (PPP) :solution privilégiée pour accélérer la modernisation du patrimoine sans mobiliser immédiatement des fonds publics.
Ventes ciblées :certains biens situés hors du territoire bruxellois seront cédés. Pour 2025, environ 10 millions d’euros sont attendus de ces transactions.
Revalorisation des loyers haut de gamme :environ 10 à 15 % du patrimoine résidentiel du CPAS concerne des logements de standing. Ces loyers seront alignés sur les prix du marché privé pour générer des revenus destinés à financer la politique sociale.
Cette approche fait écho à d’autres initiatives régionales. À Schaerbeek, où la bourgmestre Audrey Henry appartient également au MR, la majorité communale prône déjà la vente d’immeubles publics pour alléger les charges communales et combler les déficits budgétaires.
Une nouvelle philosophie sociale : l’emploi comme priorité
David Weytsman entend révolutionner la politique sociale du CPAS autour d’un principe : associer systématiquement logement et emploi.
Les nouvelles priorités :
• Les allocataires engagés dans un processus de réinsertion professionnelle bénéficieront d’un accès privilégié.
• Les travailleurs des secteurs en pénurie d’emploi et les employés du CPAS résidant hors de Bruxelles auront un accès facilité au parc immobilier.
• Un système innovant de capitalisation partielle du loyer permettra aux locataires de devenir propriétaires après 5 ou 10 ans de location.
Cependant, cette orientation soulève des interrogations majeures.** Le logement social a traditionnellement vocation à servir de tremplin temporaire, permettant aux bénéficiaires de se stabiliser avant de laisser la place à d’autres demandeurs en attente. En transformant une partie significative du parc en propriétés acquises, cette politique risque de réduire durablement le stock disponible et de s’éloigner de la mission fondamentale : garantir un toit aux plus vulnérables.
L’annonce que certaines nouvelles constructions seront vendues en dessous des prix du marché accentue cette logique de cession progressive du patrimoine public.
La polémique : “Un CPAS transformé en société immobilière”
Cette stratégie “modernisatrice” suscite de vives critiques. Le MR est accusé de vouloir gérer le CPAS comme une entreprise immobilière à but lucratif, en multipliant les collaborations avec le secteur privé et en pratiquant une politique tarifaire plus agressive.
Plus préoccupant encore :la priorité accordée aux travailleurs pourrait se traduire par une marginalisation systématique des publics les plus vulnérables , personnes âgées, personnes en situation de handicap, allocataires de longue durée considérés comme “non employables”. Certains observateurs dénoncent une véritable “chasse aux plus fragiles de Bruxelles”, marquant une rupture radicale avec la mission historique du CPAS fondée sur la solidarité inconditionnelle.
Quand le CPAS perd de vue sa vocation
Les dirigeants du CPAS semblent avoir perdu de vue la signification de leur acronyme : Centre Public d’Aide Sociale.
Cette réforme marque un éloignement troublant de la mission essentielle : apporter en priorité une assistance aux plus démunis. La philosophie originelle du CPAS n’a jamais été de privilégier les plus autonomes ou les plus “productifs”, mais bien de constituer un filet de sécurité pour celles et ceux qui ont tout perdu.
Aujourd’hui, la logique s’inverse : les premiers bénéficiaires seraient désormais les personnes les mieux intégrées au marché de l’emploi, tandis que les plus fragiles risquent de se retrouver définitivement à la marge du système d’aide sociale.
Logements d’urgence et restructuration administrative
Le CPAS dispose actuellement de 72 logements de transit, dont la moitié sont inhabitables en raison de leur insalubrité. L’objectif fixé vise à accélérer les rénovations pour porter ce nombre à 100 logements d’urgence opérationnels.
Simultanément, le CPAS procédera à une fusion de plusieurs services avec la Ville de Bruxelles (informatique, imprimerie, ressources humaines) et relocalisera ses bureaux au Brucity. Cette restructuration ne prévoit aucun licenciement, mais mise sur un non-remplacement progressif des départs à la retraite.
Une réforme entre efficacité gestionnaire et solidarité
L’ambition affichée est claire : transformer le CPAS en un acteur plus performant et moins dépendant des subventions publiques, tout en modernisant son patrimoine immobilier.
Mais cette transformation soulève une question fondamentale :le CPAS conservera-t-il sa vocation d’instrument de solidarité universelle ou se muera-t-il en une machine immobilière sélective au service exclusif de ceux jugés “rentables” ?
David Weytsman assume pleinement cette approche entrepreneuriale :"Notre patrimoine immobilier doit devenir un véritable levier d’émancipation sociale.”
Pour ses détracteurs, ce virage idéologique sonne surtout comme la fin du CPAS en tant que dernier refuge des exclus de notre société.
Il y a, dans ce projet ambitieux très engagé , à boire et à manger.
L’idée de valoriser un patrimoine vétuste et de le mettre au service de la collectivité est légitime.
Mais encore faut-il trouver le bon équilibre entre efficacité financière et mission sociale. Sans cela, Bruxelles risque de perdre à la fois son patrimoine… et ses citoyens les plus fragiles.
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